Il est au cours de l'année judiciaire des séances de Tribunal correctionnel qui viennent rompre la monotonie hebdomadaire de certaines audiences où alternent avec une régularité parfaite les histoires ce vols, d'ivresse et de coups. Aujourd'hui le public habituel du Palais de Justice est mis au courant d'un genre d'escroquerie qui amène devant le Tribunal quatre cultivateurs de Briec et leurs quatre complices. Disons tout de suite que la victime de ces escroqueries est l'Etat.

Le procédé employé par les délinquants est le suivant : un journalier agricole, un cultivateur, se déclarent victimes d'un accident de travail. Un camarade complaisant s'offre à attester, sous la foi du serment, la véracité de la déclaration faite. Le tour est joué. Mais une enquête ou des dénonciations font le véritable jour sur les origines de l'accident.

Quatre cultivateurs, avons-nous dit, et leurs quatre complices comparaissent aujourd'hui. Une femme répondant au nom de Corbeau, prévenue de faux témoignage en faveur de Yves Le Gars, diffère un peu dans sa déposition des autres inculpés. Tandis que ceux-ci imaginent de toutes pièces un accident, la femme Corbeau, elle, veut, par son récit, réparer le dommage qu'a subi Le Gars, en faisant connaissance avec les poings de Jeanne Corbeau. Ajoutons ou fi ces faits remontent à des dates variables.

Il y a Jean Mérour. 43 ans, cultivateur à Vern-Vian en Briec, et son complice, Jérôme Pann, âgé de 56 ans, cultivateur à Barre (le faux témoignage porté par Pann remonte au 5 décembre 1935) : Pierre Thépaut, 50 ans, cultivateur à Kerizit, en Briec, et son complice. Jean Saouzanet. 57 ans, de Kergaridou, en Briec (affaire remontant, au 22 février 1935): Yves Le Gars. 48 ans, cultivateur à Kervernal, en Briec. et sa complice. Marie-Jeanne Le Du, femme Corbeau, cultivatrice à Lestreguez. en Briec (la fausse déposition de Marie Corbeau date du 24 février 1933) ; Jean Saouzanet. déjà nommé comme faux témoin dans l'affaire Pierre Thépaut, et Yves Guilloré, 70 ans. cultivateur au bourg de Briec (c'est la plus vieille affaire, car elle remonte au 5 avril 1932).

Tous ces inculpés répondent du délit d'escroquerie, de complicité et de faux témoignage.

 

L'AFFAIRE MEROUR-PANN

 

Jean Merour, propriétaire-cultivateur, et son domestique Jérôme Pann. comparaissent devant le tribunal. D'excellents renseignements sont fournis sur leur compté. Les faits qui ont motivé la plainte remontent au 5 juillet 1933 : ce jour-là, Mérour était occupé avec ses domestiques aux travaux de la moisson. Alors qu'il se trouvait sur une charrette de gerbes de blé, Mérour tomba à terre et se fractura le bras. Profitant de la loi sur les Assurances Sociales, en date du 26 juillet 1930, Merour adressa une requête au président du Tribunal civil aux fins de toucher une pension. L'ouvrier agricole Pann, qui se trouvait présent lors de la chute, accepta d'être témoin et fit la déclaration que l'on sait.

Seulement les langues se délièrent et le 5 décembre 1935 Pann reconnut avoir falsifié la vérité : Merour était bien tombé d'une charrette de paille, mais, suivant l'expression du dossier, en chahutant avec son cousin.

Pann comparaissait hier pour faux témoignage et Merour, qui toucha une pension de 1.800 francs, pour escroquerie.

M. le Procureur de la République demande une condamnation sévère car, dit-il, les faits de cette nature sont trop nombreux dans la région de Briec.

M. le bâtonnier Alizon défend les accusés : la thèse de l'excellent bâtonnier roule sur cet arrêt de Cour de cassation consigné au Dalloz et ainsi conçu : « Tout accident survenu au lieu et au temps du travail est un accident du travail». Logiquement M. U bâtonnier en arrive à demander l'acquittement pur et simple de ses clients.

 

AFFAIRE THÉPAUT - SAOUZANET

 

Bien que poursuivis pour des chefs d'accusation identiques, Thépaut et Saouzanet ont commis un délit présentant quelques variantes avec celui de Mérour-Pann.

Le 23 juillet 1934, Thépaut adressait une requête au président du tribunal civil, accompagnée d'un certificat médical constatant une fracture du bras survenue durant le travail. Un fermier-cultivateur du nom de Saouzanet attesta avoir vu Thépaut tomber d'une charrette de foin mais sans se faire aucun mal. Seulement à l'âge de 12 ans, l’accidenté était tombé d’un arbre en voulant dénicher un nid de corbeau.

A l'audience Thépaut reconnaît les faits. M. le Procureur de la République fait bien remarquer la différence existant entre cette affaire et la précédente : « Il y a ici une escroquerie flagrante », fait remarquer M. le Procureur.

M. le bâtonnier Alizon se charge de la défense de Thépaut et demande au tribunal d'user d'indulgence. Il ne s'oppose pas à ce qu'une peine de prison sanctionne ce délit mais demande une mesure de clémence.

M" Jean Jade plaide pour Saouzanet et fait état du doute possible dans lequel a bien pu se trouver son client. Les faits de la chute de l'arbre remontent si loin et sont au fond d'une importance si minime qu'il fut permis à Saouzanet de les oublier.

Jugement à huitaine.

 

AFFAIRE LEGARS-CORBEAU

 

La série de ces escroqueries au préjudice de l'Etat continue par la comparution du groupe Legars-Corbeau.

Le 26 juillet 1932, Le Gars adressait une requête aux fins d'obtenir une pension en qualité d'accidenté du travail. Un certificat d'un médecin de Briec constatait une brisure de l'avant-bras, lui occasionnant une incapacité de travail de 50 pour cent. Cette déclaration lui valut une pension annuelle de 1775 francs.

La vérité est la suivante : En 1901, Le Gars, jeune homme de 18 ans, s'amusait avec Marie-Jeanne Le Du, la future dame Corbeau. Il tomba sur la faux qu'elle tenait, d'où la blessure.

M* Jean Jade plaide l'entière bonne foi de ce couple : l'un s'est déclaré victime du travail, c'est exact; l'autre s'est rendue seulement coupable d'une réticence. Me Jean Jade demande en conséquence l'acquittement du couple Le Gars-Corbeau.

 

AFFAIRE GUILLORÊ-SAOUZANNET

 

Dernière histoire d'une trop longue série : Saouzannet, le témoin complaisant de Thépaut, devient ici l'obligé de Guilloré, vieux fermier de 70 ans. Au cours de l'année 1932, Saouzannet qui conduisait une voiture, fut renversé par le véhicule, le cheval s'étant subitement emballé.

La blessure occasionnée par cet accident permit à Saouzannet de se faire passer pour accidenté du travail. Mais la véritable blessure qui permit au cultivateur de percevoir une pension remontait à 1895. Un jour qu'il conduisait un cheval de son père, l'animal lui écrasa le pied.

Me Jean Jade plaide pour Saouzannet et déclare que son client n'a commis aucune altération à la vérité. Il demande donc purement et simplement son acquittement.